La secte d'Isenth

Je fermerai les yeux si tu m'entrouvres ton âme.
Mon coeur n'a pas de paupières, lui…


Je me souviens d'elle, j'avais pris le chemin dans la montagne, celui qui mène au sommet là où la vue défie l'imagination. J'avais 18 ans tout juste et mes pensées voletaient d'arbre en arbre sans que je ne fasse attention. J'ai pris un chemin qui n'existait pas, un chemin que seules les bêtes empruntent et qui mène à elle. Elle, la déesse disparue, je me souviens de son visage plein de larmes, de son ventre trop empli, du rouge sanglant de ses yeux. Elle était sublime, je l'ai prise dans les bras.
Elle était sublime, elle a relevé les yeux.
J'ai forcé sa bouche et puis ses cuisses, j'ai bravé ses yeux et puis le diable. Et quand repu je suis tombé à ses côtés, elle s'est relevée et s'est repliée au fond de sa grotte.

Elle n'était pas femme, elle était tentation. J'ai érigé un mur de pierre qui à jamais s'est refermé sur elle. Au fond de la grotte Isenth est restée silencieuse.
Elle n'était pas femme, elle était déesse. Quand je suis revenu deux ans plus tard et que j'ai enlevé quelques pierres, Isenth s'est levée, s'est approchée et a touché mon visage. Mais elle n'a de pouvoir que la première fois, la puissance de ses yeux s'éteint ensuite pour l'homme qui déjà fut esclave de son corps. Alors j'ai remis les pierres que j'ai scellées. A jamais. Elle a crié et puis le silence est revenu. Cette fois-ci, je ne suis pas parti. J'ai ressenti en moi un si profond danger que je me suis fait prophète de son culte. Isenth doit mourir, elle doit être détruite, c'est mon rôle sur cette terre, c'est moi qui ai découvert la déesse de la Folie Pure.

Isenth entrait dans mon esprit toutes les nuits, elle m'invitait à la séduire, à l'aimer, à la violer. Elle m'incitait à boire, à consommer de la chuya. Elle m'invitait à vivre une vie comme celle qu'elle avait vécue en jouant l'humaine, une vie de débauche, une vie de luxure, une vie à la Sambre. En cherchant sa libération, elle m'offrait des armes pour mieux la détruire. Un être moins vertueux que moi aurait sombré chaque nuit qu'Isenth me tenta mais du haut de mes principes plus jamais je ne tombai. J'appris d'elle ses pouvoirs et ses faiblesses. Créature créée par l'Ambre et le Sang, elle est liée aux Sambre d'une manière que je saisis mal. C'est comme si une intelligence avait pris forme dans les entremêlements d'esprit rendus possible par l'Art. Et que l'esprit avait envahi le corps d'un enfant pour naître dans les bas fonds de la Cité.


Le culte d'Isenth est un culte contre sa déesse. Les rebelles sont les seuls à la connaître. Chaque maître choisit un apprenti, un homme de vertu, de principes et aux tendances extrémistes. L'apprentissage dure minimum trois ans à l'issue desquels l'apprenti est amené à Isenth. Comme tout homme ou femme qui voit pour la première fois la déesse, l'apprenti ne peut lutter contre ses pulsions. Après son passage chez Isenth, il est reconnu comme étant maître et ne doit pas revoir la déesse pendant un minimum de 10 ans.

Les rebelles sont endoctrinés lors de leur apprentissage, ils apprennent les textes sacrés, les rites. Leur lutte contre la déesse passe par une lutte contre les Sambre. A chaque Sambre affaibli, ils ont en effet remarqué que la déesse perd de sa puissance et de sa vitalité. Leur but étant d'étrangler le pouvoir d'Isenth, ils sont dirigés par le Gant qui prend les décisions et la Main, son bras droit, qui dirige les attaques. Leur fidélité n'est jamais remise en cause, mais si jamais l'un des membres trahissait ses frères, il serait aussitôt traqué et tué.

La plus grande force des rebelles d'Isenth, c'est que personne ne connait les raisons de leurs attaques contre les Sambre, certains sont persuadés qu'ils tentent un coup d'état et essaient donc de s'allier à eux. Les rebelles d'Isenth sont infiltrés partout. Longtemps ils ne furent pas pris au sérieux mais depuis peu leur nombre a tant augmenté qu'ils sont désormais une véritable menace pour l'empire.

La caverne est devenue une prison. Située à l'opposé des mines de la Cité d'Ambre, sur le flan de la montagne, elle fut errigée lors de la construction des premières remparts. Très vite, les rebelles construisirent une orfèvrerie autour de la prison afin de la cacher à jamais au grand public. Le batiment est tenu par le Gant et si nombreux sont ceux qui y travaillent, seuls les fanatiques connaissent sa véritable origine et peuvent pénètrer dans certaines de ses salles hautement protégées.



Hormis le culte secret d'Isenth, il n'existe aucune religion reconnue dans la cité. Du fait de leurs pouvoirs et de ses caractères spéciaux, la famille impériale est parfois considérée comme une puissance, leur règne est comparable à celui des Pharaons.

Il n'y a donc aucun péché dans la Cité d'Ambre. Il existe cependant des lois qui empêchent meurtres, viols, vols. Débauche et décadence s'exercent au sein même du château. Dans les plus vieilles familles, on observe des mariages incestueux. La pratique de l'inceste n'est cependant pas chose courante au-delà des remparts d'Ambre. L'esclavagisme est encore de vigueur dans la cité. Est esclave celui qui a commis un crime et qui a préféré les chaînes à la corde. Les enfants d'esclave le sont également. Les possesseurs d'esclaves sont en général dans le château ou dans l'enclave d'Ambre, mais on peut aussi en trouver dans les mines.

En rêve je la vois, quand mes yeux sont vides et mon souffle lent, quand le chuya brûle mes veines et envole mon âme. Je la vois. Elle pleure, elle crie. Elle a les yeux rouges et elle est idée. Des fois, elle murmure un nom, son nom, Isenth. Des fois ce sont d'autres mots, des mots que je répète du bout des lèvres et qui me hantent, ensuite. Alors j'attends celle qui la libèrera, celle qui portera sa marque dans les Iris et qui brandira ses couleurs.